13 mars 2008

Coté cour, le texte d'un spectacle
qui n’a pas été construit pour être écrit mais pour être vécu et imaginé en direct avec le public.
Cependant, vous en retrouverez ci-dessous une transcription, d’après la première racontée que j’en ai fait à St Gervais sur Roubion,le 29 novembre 2001. Il a ensuite été présenté à Grenoble, la Roche de Glun, Donzère et à nouveau St Gervais.
Je ne suis qu’une conteuse, plus je raconte et plus je mens, je n’étais pas payée pour dire la vérité…Mais mon ambition est que, quel que soit l’endroit où vous vivez, cela vous donne envie d’écouter vos voisins !
Et, faut-il le préciser, ce spectacle est encore disponible..
.


J’ai escaladé 7 Hymalayas de paperasses et de rêves,
J’ai fait mon chemin au coupe-coupe
à travers 6 forêts vierges pleines de ronces et d’ermites,

J’ai échappé aux congères et aux inondations
de 5 déserts de maïs et de vent,
J'ai salué avec crainte les 4 cheminées de Gargantua,

J’ai traversé à la nage les galets de 3 rivières à sec,
J’ai réussi à me glisser entre les 2 serpents
de bruit et de vitesse

et je suis arrivée dans 1 village

Quand j’ai garé ma voiture sur la Place de l’hôpital, là où il y a la poste, j’ai regardé le plan et j’ai vu, écrit, Place des Fourmis.
Je suis allée Place des Fourmis. Place des Fourmis il y avait le vent et pas plus de fourmis qu’ailleurs. Place des Fourmis il y avait des murs de galets de briques et de parpaings, des voitures, et pas grand monde : personne… Sur la gauche entre l’église et le château il y avait un passage tout petit, je me suis glissée dans le passage et non, je n’ai pas trébuché, je suis arrivée de l’autre côté, devant le château, Place du Parterre. J’ai longé le château et jel’ai vue, elle m’attendait et elle était beaucoup plus joufflue que ce que je l’imaginais, la Princesse…

C’était une princesse qui ne voulait pas se marier,
ça arrive !

Un
jour, elle a changé d’avis, ça arrive aussi.
Ce jour là quand elle s’est retournée, elle s’est aperçue que le temps qu’elle réfléchisse, les garçons étaient déjà tous là : ceux du village, ceux des villages alentour et même des garçons qu‘elle ne connaissait pas : ça l’a dégoutée. Elle leur a dit : moi, je ne me marierai qu’avec le garçon qui sera capable de se cacher 3 jours et 3 nuits sans que je le trouve.
Les garçons ont été un peu lents à comprendre mais ils sont partis.
Le lendemain en ouvrant la porte du château elle les a vus tout de suite : ils s’étaient caché mais si près que c’était plus fort qu’elle, elle les trouvait tout de suite… Ils ont fini par abandonner.

Du temps a passé, mais pas trop. Un garçon qui passait par-là a entendu parler de la princesse et de son défi. Il est allé frapper au château. La princesse a ouvert. Ils se sont regardé et le garçon a dit : je veux vous épouser. « Il faut pouvoir se cacher 3 jours et 3 nuits » a répondu la princesse. « Je sais » a dit le garçon et il est parti.
Il ne savait pas où aller. Il a vu au bord du chemin un bébé aigle. Il a cherché le nid du bébé aigle. Cela lui a pris tout le jour pour trouver en haut d’une montagne. Il a remis le bébé aigle dans le nid et le papa aigle a dit « Merci ! Tu m’as aidé, je peux t’aider ? » « Oh, a dit le garçon, je dois me cacher 3 jours et 3 nuits » « Facile » a répondu le papa aigle, « monte sur mon dos ! » L’aigle s’est envolé plus haut que les nuages, si haut qu’on ne voyait même plus un petit point dans le ciel.
Le lendemain, le 1er jour, la princesse a ouvert la porte du château et elle n’a rien vu. Puis elle a dit « Ciel, rends-le-moi ! » et, du haut du ciel il s’est écrasé à ses pieds, le garçon… « J’avais dit 3 jours et 3 nuits » a dit la princesse. " Je sais", a répondu le garçon et il est reparti.
Il ne savait pas où aller. Le chemin l’a conduit à la rivière et sur les galets il a vu un poisson à sec. Il a jeté le poisson à l’eau et le poisson a dit« Merci ! Tu m’as aidé, je peux t’aider ? » « Oh, a dit le garçon, je dois me cacher 3 jours et 3 nuits » « Facile » a répondu le poisson « Suis-moi ! » Le garçon a plongé dans la rivière et est allé se cacher tout au fond des océans avec les cachalots.
Le 1er jour, la princesse a ouvert la porte du château et elle n’a rien vu. Puis elle a dit « Ciel, rends-le-moi ! » Rien n’est tombé.
Le 2ième jour, la princesse a ouvert la porte du château, elle n’a rien vu. Puis elle a dit « Mer, rends-le-moi ! » et, du fond de l’océan une vague est venue s’écraser à ses pieds et dans la vague il y avait le garçon. « J’avais dit 3 jours et 3 nuits » a dit la princesse. " Je sais", a répondu le garçon et il est reparti.
Pas loin : il s’est assis sur une grosse pierre. Entre ses pieds il y avait une flaque et dans la flaque une fourmi en train de se noyer. Avec un brin d’herbe il a repêché la fourmi et la fourmi a dit « Merci ! Tu m’as aidée, je peux t’aider ? » « Oh, a dit le garçon, je dois me cacher 3 jours et 3 nuits » « Facile » a répondu la fourmi «Prends moi sur ton doigt. Le garçon a pris la fourmi sur son doigt et aussitôt il est devenu lui-même fourmi. Et la fourmi-fourmi a dit dans l’oreille du garçon-fourmi quelque chose qui a bien fait rire le garçon fourmi.

Le 1er jour, la princesse a ouvert la porte du château et elle n’a rien vu. Puis elle a dit « Ciel, rends-le-moi ! » Rien n’est tombé.
Le 2ième jour, la princesse a ouvert la porte du château, elle n’a rien vu. Puis elle a dit « Mer, rends-le-moi ! » Rien n’est arrivé.

Le 3ième jour, la princesse a ouvert la porte du château, elle n’a rien vu. Puis elle a dit « terre, rends-le-moi ! » Rien n’est arrivé, même pas un petit tremblement de terre. Elle est rentrée.
Le soir elle s’est couchée et le lendemain en se réveillant elle a senti quelque chose qui la chatouillait : une fourmi. La princesse a pris la fourmi sur son doigt et la fourmi est redevenue garçon. A moins que ce soit la princesse qui soit devenue fourmi, en tout cas, c’est comme ça qu’elle s’est mariée la princesse qui ne voulait pas se marier et c’est peut-être comme ça aussi que à St Gervais sur Roubion il y a une place qui s’appelle Place des Fourmis.

Le temps de me souvenir de l’histoire le vent était tombé, du moins il s’était calmé et tout avait changé Place du Parterre : des chaises étaient sorties des maisons avec des pas tout jeunes assis dessus. Il y avait aussi des trottinettes, des vélos, des ballons avec des pas du tout vieux qui jouaient… Ca me tournait autour et il a même fallu que j’essaie une trottinette et c’est comme ça que ce jour là, Place du Parterre, tout le monde a su que j’étais gauchère…
Par la Rue des Terrasses, je suis retournée Place de l’hôpital, et là aussi tout avait changé : une dame avait sorti sa chaise, il y avait 3 ou 4 bonhommes sur un banc et même les ni jeunes ni vieux allaient moins vite ! Entre la poste et la boulangerie on aurait dit qu’ils prenaient leur temps, on aurait même cru qu’ils allaient s’asseoir !
J’ai continué à me balader rue du Bourg, Place de l’Horloge, le cul de sac du Fond du Sac, Chemin de Ronde, Place des Fourmis, Passage du Trébuchet… mais je me suis assise aussi et, à chaque fois, il y avait quelqu’un pour me déposer dans l’oreille une histoire…

C’est un colonel qui habitait à Paris. C’était un grand colonel, je ne sais pas s’il était illustre mais il était grand en hauteur, tellement grand qu’il devait aller dans un grand magasin spécialisé pour s’habiller. Il n’aimait pas faire les courses. Il était malade 8 jours avant rien qu’à l’idée et il lui fallait 8 jours pour s’en remettre…
Ce jour là il avait besoin de pantalons. Dans le magasin il a demande à un vendeur « Je voudrais 2 paires de pantalons mais en tissu léger car je dois aller dans la Drôme et là-bas, il fait chaud »… « Dans la Drôme ? Où ça dans la Drôme ?» a demandé le vendeur. Un peu agacé le colonel a répondu que c’était un tout petit village que personne ne connaissait. « Lequel ? » a demandé le vendeur au lieu de s’occuper des pantalons. « Vous ne pouvez pas connaître, a dit le colonel pour se débarrasser, il s’agit de St Gervais sur Roubion » « Bien sûr que je connais, a dit le vendeur, et Madame Vialatte, vous, vous la connaissez ? »
Madame Vialatte c’était la voisine du colonel quand il venait à St Gervais. Madame Vialatte, c’était celle qui avait reçu chez elle, tous les étés, le vendeur de pantalons. Le vendeur de pantalons c’était un de ces petits que Madame Vialatte avait soignés…

Il y a une coutume encore bien vivante que j’ai pu observer à St Gervais.
Un des premiers matins de mon séjour pendant qu’on m’offrait le café, dans une maison de la plaine, vers Famone, a débaroulé dans la cuisine un garçon, genre adolescent très bien élevé. Il m’a salué, j’ai répondu à son salut mais je ne pouvais détacher les yeux de son tee-shirt. Sur son tee-shirt était écrit :

« JE NE RALE PAS... JE M'EXPRIME"
Je me suis renseignée : il tenait son tee-shirt de sa sœur aînée, tout aussi bien élevée que lui…
Quelques cafés plus tard, au bar, j’ai vu entrer un homme avec sur son tee-shirt devant les fesses d’une fille à peine cachées dans un short et derrière écrit
« ALLO PIZZA, PROPRIANO »

Cela n’a l’air de rien mais c’est une coutume locale : on m’a raconté qu’avant 1914, il y avait une famille tellement pauvre, que la mère n’avait rien trouvé de mieux pour faire un pantalon à son fils que de récupérer un vieux sac d’engrais. Ce qui fait qu’il se promenait avec un pantalon sur lequel était écrit
devant« AZOTE » et derrière « ENGRAIS RICHE »
D’autres témoins assurent qu’il était écrit
devant « PRODUIT CHIMIQUE » et derrière « ENGRAIS COMPLET »…

Il y a des coutumes qui passent les siècles, celle-là a, au moins, 100 ans.

Plan !
C’est les riz, c’est les rats,
Canti canto, crocs d’en haut !
C’est les riz, c’est les rats,

Canti canto, crocs d’en bas !

Comment est-ce qu’on arrive dans un village ? Pas pour se promener, comme moi, non pour y vivre, y élever des enfants, des petits enfants et même des arrière petits enfants…
Cela je l’ai appris sur le marché de St Gervais.

Le marché de St Gervais, c’est place de l’hôpital : devant la poste. Mardi et Vendredi. Ce n’est pas bien grand. A droite il y a le boucher, le mardi, ou le poissonnier, le vendredi. A gauche rien ou plutôt des voitures, le mardi, et un charcutier qui vient de l’Ardèche le vendredi. Le charcutier vend aussi des picodons pas mauvais du tout. Au milieu un tout petit étalage : la marchande d’olives et de fruits secs, seulement le vendredi et encore… Si vous aimez les olives et les fruits secs il faut y aller tout de suite, sinon, le temps d’aller chercher le pain, elle est déjà partie : ça m’est arrivé plusieurs fois.
Mais le marché de St Gervais c’est surtout, mardi et vendredi au milieu, au pied du platane, le banc de fruits et légumes « chez Faquin ».
Monsieur et Madame Faquin habitent St Gervais et c’était tellement évident que personne n’avait pensé à me le dire ! Et ils me connaissaient presque mieux que ce que je les connaissais quand je l’ai su… Ce jour là je me suis présentée et comme il n’y avait presque personne, tout de suite elle m’a racontée comment elle, qui avait l’air d’être là depuis toujours, elle était arrivée à St Gervais…
Elle est née en ville, au Teil, en Ardèche. Elle a grandi en ville. Quand elle avait 11 ans, sa mère est morte. Son père s’est remarié tout de suite. Elle est entrée à l’orphelinat, chez les sœurs de l’Immaculée Conception. La guerre est venue et il y a eu un gros scandale : une sœur de l’Immaculée Conception est tombée enceinte. L’ordre a été dissout, les sœurs ont été relevées de leurs vœux. Les orphelines ont été dispersées : on les a placées. Madame Faquin avait 16 ans, elle n’avait pas envie de travailler, elle voulait être institutrice. On l’a envoyée travailler à la campagne : au moins elle aurait de quoi manger. Elle s’est retrouvée à St Gervais.
«J’étais de la ville, j’avais peur des vaches, il fallait traire ! »
Elle a trait les vaches. Elle était vaillante.

Monsieur Faquin habitait juste à côté. Ils se sont mariés. Ils ont eu des enfants, des petits enfants et des arrière petits enfants…
Ce matin là, fin octobre, chez Faquin, il y avait des fraises mûries à St Gervais. Madame Faquin trouvait qu’elles étaient chères, moi, j’ai trouvé qu’elles étaient bonnes…

Pour le rencontrer, lui, on m’avait dit : tu vas à la boulangerie à 9h, il vient tous les matins en mobylette chercher son pain, tu ne peux pas le rater.
Il n’y en a pas qu’un qui me l’a dit : c’était comme une conspiration générale… Alors je l’ai attendu. Je suis arrivée à 9 h moins le quart pour ne pas le rater. Pour patienter j’ai acheté un croissant et le journal que j’ai étalé sur le capot de ma voiture. Il est arrivé à 9h 10… Je commençais à croire que je l’avais raté ! Et pendant qu’il ôtait son casque pour mettre son béret, je me suis présentée : comme il venait de m’entendre à la radio ça été vite fait ! Et on est allé boire un coup au bistrot…Ce Monsieur a été agriculteur toute sa vie à St Gervais et dès 1942 il a été dans la résistance sans partir de chez lui, pas tellement le coup de fusil, je crois, plutôt les faux papiers et aider les jeunes à échapper au STO…

Ce jour de mars 1944, il allait à vélo depuis St Gervais chercher des fausses cartes d’identité dans une maison à la Roche sur Grâne : 20 km en vélo, aller. Quand il est arrivé, on lui a dit que les cartes étaient en retard et on lui a fait comprendre qu’il valait mieux les attendre ailleurs… Il a pédalé jusqu’à Crest. Il s’est arrêté au Café du Pont (il existe toujours, le café) pour boire et manger quelque chose… Au fond de la salle il y avait 4 hommes… Une connaissance à lui est venue lui dire, discrètement, de s’en méfier et aussi de changer d’itinéraire : c’était la milice. Il est allé récupérer les cartes à la Roche sur Grâne, a pris la route pour rentrer mais ça n’était pas la bonne route, car, dans un virage il a vu la traction avec 2 des miliciens. Il ne fallait surtout pas qu’il fasse demi-tour. Très poliment les 2 miliciens l’ont arrêté, lui ont demandé ses papiers. Il a sorti sa carte d’identité. Il était agriculteur, un peu loin de son domicile mais, comme alibi à son déplacement, il avait sur le porte bagage de son vélo des socs de charrue et des « bons de monnaie matière ». Les bons de monnaie matière c’était une sorte de tickets de rationnement pour les agriculteurs et les artisans qui permettaient de faire réparer ses outils, par exemple. Ses papiers étaient en règle.
Les miliciens l’ont fouillé et quand il s’est retourné, il a vu que les 2 autres miliciens avaient réapparu et qu’ils étaient en train de démonter la selle de son vélo et de gratter avec une tige métallique dans le cadre du vélo… Les miliciens n’ont rien trouvé, ils ont même remonté le vélo presque en s’excusant. Ils l’ont laissé filer… La descente sur Puy St Martin, il ne l’avait jamais faite aussi vite.
En mars 44, il faisait encore froid, surtout en vélo, les fausses cartes d’identité étaient dans la doublure de ses mitaines, les mitaines que sa sœur lui avait cousues.

En août 44, dans la plaine de Montélimar, il y a eu la plus grosse bataille du sud de la France entre les Allemands et les Américains. Il y a eu des milliers de morts : plus que dans le Vercors. Les Américains avaient débarqué en Provence, ils étaient remontés par Alpes, passés par Die pour prendre les Allemands à revers pour que les troupes d’élite stationnées près d’Aix en Provence ne puissent pas remonter vers le nord. La bataille a duré 10 jours dans la plaine et dans les collines, les Allemands étaient dans le village de St Gervais, les Américains de l’autre côté du Roubion…
Au début, à St Gervais, on regardait passer les obus par la fenêtre ou même on prenait son coussin pour aller admirer le feu d’artifice depuis les collines. Et puis ça s’est gâté les obus ont commencé à tomber sur le village, les habitants se sont caché dans les caves (40 dans les caves du château) ou dans les campagnes où ils avaient leurs poules et leurs lapins.
Janine était fille unique et elle a quitté la maison du village avec sa mère et ses grands-parents pour se mettre à l’abri dans un bout de ferme dans la plaine. Mais le père est resté au village, rue du Bourg, car à la maison
il y avait une truie avec 10 petits et ça s’était presque plus précieux que la vie.

Un soir le père a entendu frapper. Inquiet il est allé ouvrir. C’était un soldat allemand, tout seul. Il est entré, a fermé la porte derrière lui et a déposé ses armes devant le père. Il a dit, en français, « je me rends » Le père lui a dit de partir, mais mettre un soldat allemand dehors… Le soldat allemand a dit qu’il ne voulait pas mourir, que la guerre allait finir et qu’il préférait être fait prisonnier. Il a insisté et il est resté, caché dans un grand cuvier… La bataille a duré plusieurs jours. Le soldat allemand et le père ont eu le temps d’avoir peur et de faire connaissance. Le soldat allemand a promis qu’après la guerre il donnerait de ses nouvelles. Et puis tout s’est calmé, les Allemands étaient partis de St Gervais et le père a livré son prisonnier aux Américains.
Il a attendu d’avoir des nouvelles de son prisonnier, il n’en a jamais eu…

En Août 44 il n’y a eu que deux victimes civiles à St Gervais,
mais en 1954, en jouant au Roubion un enfant de 10 ans a sauté sur une mine.

Un petit pierre sortant du Paradis,
La bouteille pleine,
Pleine d’eau de vie,
Pigeon poulet,
Sortez du poulailler un petit pied !

Elle avait 11 ans. Elle roulait en solex. Sans casque.
Elle était tellement petite qu’elle ne pouvait pas s’asseoir sur la selle.
Elle roulait debout sur les pédales mais elle en faisait des tours !
Elle roulait dans les collines tous les jours.
Une fois, elle est arrivée devant une bergerie.
Il n’y avait pas d’habitation dans les alentours mais un vieux chien qui montait la garde.
Un chien galeux, maigre et triste, attaché à une chaîne qui coulissait sur un fil de fer. Elle s’est arrêtée et a caressé le chien. Le chien était content. Elle est revenue plusieurs
fois. Le chien lui faisait la fête.
Alors elle a pris une grande décision. Chez elle, elle a préparé une pancarte de carton. Elle est revenue à la bergerie, a caressé le chien, l’a détaché et à la place du chien, au bout de la chaîne elle a accroché sa pancarte
:

SALAUD DE PATRON, ADIEU !
Signé : LE CHIEN
Elle est remontée sur son solex, le chien l’a suivie jusqu’au village, jusque chez son grand père. Le grand-père a hurlé qu’il ne voulait pas d’une saloperie comme ça chez lui et qu’en plus, ce chien, elle l’avait volé et qu’elle devait le ramener immédiatement là où elle l’avait trouvé. Il n’en était pas question. Le chien est resté, vous l’avez peut-être connu à St Gervais : ils l’avaient appelé Zouzou.
Et elle, à ma connaissance, je ne crois pas qu’elle soit devenue délinquante…

Il y a un personnage de st Gervais dont je n’ai pas encore parlé. Pourtant même quand il n’est pas là il tient sa place, il fait parler, il alimente champs de maïs et nostalgie, c’est le dernier sauvage des environs…
Lui, je ne l’ai vraiment rencontré que le dimanche 7 octobre 2001. Il avait plu si fort que pour venir au village j’avais failli noyer ma voiture. Au pont, je me suis arrêtée : je ne l’avais jamais vu comme ça.
J’ai garé ma voiture et j’ai vu aussi que je n’étais pas toute seule à venir le saluer… Du village arrivait quelqu’un que je connaissais avec les bottes et le parapluie sous le bras : en plus on allait pouvoir causer !
Le temps que je descende de ma voiture, un autre arrivait que je ne connaissais pas. Et puis l’homme à la mobylette : ce n’était pas sa route, mais il était venu voir après avoir acheté le pain !
Les voitures ralentissaient, descendaient la vitre, les jeunes en mob aussi s’arrêtaient : ceux qui ne l’avait pas encore vu l’avaient au moins entendu. Il y a eu aussi une dame et Jérôme avec son pliant et ses pinceaux :
tout le monde était sur le pont…
Il y avait de quoi, il tapait dans les ramières, tout gonflé des pluies de la nuit, tout brun, comme un dragon crénelé de vagues, il charriait les troncs, les racines, c’était le grand nettoyage, il était venu…
Roubion !

Et chacun de vouloir me montrer où il fallait regarder, sur quel banc de galets, il fallait regarder pour voir s’il n’était pas déjà en train de repartir : il était déjà en train de repartir…
Ce matin là il faisait doux, la vue était belle vers les montagnes et puisqu’on avait vu Roubion, on pouvait aller faire le dîner.

Un jour il y a un pêcheur qui a décidé d’aller au Roubion, pour pêcher le plus gros des poissons.
Il a préparé ce qu’il fallait : un casse croûte, sa meilleure canne, son fil le plus solide, ses plus gros flotteurs, les hameçons et les appâts.
Arrivé au Roubion, il s’est appliqué, il a monté sa ligne, il a bien serré les nœuds, il a mis un très gros appât pour attraper le plus gros des poissons.
Il a attendu. Ca n’a pas mordu tout de suite. Il a mangé son casse croûte, changé de place, remonté sa ligne…
Pas pour rien… sa ligne s’est enfoncée, il a mouliné de toutes ses forces, ça résistait, il a vu apparaître de drôles de nageoires noires, il a réussi à le tirer hors de l’eau, c’était le monstre du Loch Ness…
C’est depuis ce temps là qu’il n’y a plus de monstre au Loch Ness et c’est depuis ce temps là que quelque fois il n’y a pas d’eau au Roubion mais beaucoup en Ecosse.

A l’école de Bonlieu, on a pas mal parlé de Gargantua.
Gargantua, c’est un géant tellement géant que, quand il a plongé dans la mer, ça a fait remonter l’eau : c’est depuis ce temps qu’il y a des rivières, l’eau redescend…
Quand il éternue c’est la tornade,
comme il est gentil, la plupart du temps il se retient…

Quand il ronfle c’est vent du Nord ou vent du Sud, des fois, les deux.
Comme goûter, il lui faut un magasin de hamburgers, avant on disait plutôt un troupeau de mouton et un de bœufs et 7 terrassiers avec des pelles pour lui tenir la moutarde…
On ne parle jamais de la femme de Gargantua… il n’a jamais réussi à en avoir une : il ne fait pas exprès, il les écrase…
Tout ça je l’ai appris à l’école de Bonlieu en 2001, mais…
On disait déjà, dans les années soixante que Gargantua était passé par là. Gargantua était à Crupies. Il a voulu boire au Roubion. L’eau n’était pas assez profonde il s’est cassé une dent. Et la preuve que ce que je raconte ça n’est pas tout des mensonges c’est que sa dent elle y est toujours, juste à côté du tunnel…
Après il a descendu la vallée et un pied sur la montagne Ste Euphémie, un pied sur St Maurice il a uriné et on dit que c’est comme ça que cette année-là, Roubion est revenu et aussi la Rimandoule.
Il avait un caillou dans sa botte, il s’est assis sur Ste Euphémie et l’a ôté : c’est la Bille des Fours juste à côté. Y en avait un autre un peu plus gros il l’a jeté jusqu’à Pierrelatte et celui là tout le monde ou presque le connaît…
Il a descendu le Roubion, il est arrivé au Rhône, il l’a franchi d’une seule enjambée et il s’est retrouvé en Ardèche. On dit qu’il s’est torché le derrière avec un bedeau et qu’il a jeté le bedeau de l’autre côté dans la Drôme. C’est depuis ce temps là disent les Drômois qu’il y a beaucoup de bedeaux dans la Drôme… On ne dit pas ce que disent les Ardéchois des Drômois…
Une fois soulagé Gargantua a remonté le Rhône, il a eu soif un peu avant Valence. Il s’est penché et il a séché le Rhône. L’eau était bonne mais il ne s’est pas senti bien après. Il avait dû avaler quelque chose avec… On a fait chercher 2 médecins qui sont descendus dans son ventre : il avait avalé 2 bateaux de poudre. Les médecins sont ressortis, il fallait agir, ils lui ont mis le feu au derrière.
Y en a qui disent que c’est comme ça qu’il est mort : il a explosé…
D’autres, disent que pas du tout, Gargantua était tourné vers le Sud et ça a fait griller la ville de Lyon.
Mais vous avez pu constater comme moi, qu’il y a toujours ses petits réchauds qui fument tout le long du Rhône…

Une allumette prend feu
Sur un papier bleu !
Mais comme la Reine et le Roi
Ne le veulent pas,
Ce ne sera pas toi !
Au bout de trois :
1, 2, 3

A Puy St Martin, on disait aux enfants pas sages que Gargantua allait venir et les mettre dans ses bottes… mais j’en connais, moi, à St Gervais, qui ont plutôt entendu parler du

Féligaou.
On disait aux enfants : « si vous êtes pas braves, on va faire venir le Féligaou ».

Le Féligaou, lui, c’était un vrai bonhomme. Dans les années 50 il habitait Dieulefit, mais sa vie c’était de circuler dans les villages de la plaine et de boire des canons. Quelques fois on le ramassait dans les fossés pour le mettre à l’abri à la « prison » sous l’horloge, quand il faisait trop froid… Il était tout en loques, il faisait peur aux enfants, mais il n’était pas méchant. Un jour Féligaou est mort et on a vu alors, un notaire faire le tour des villages pour payer les dettes de Féligaou…

Une allumette prend feu
Sur un papier bleu !
Mais comme la Reine et le Roi
Ne le veulent pas,
Ce ne sera pas toi !
Au bout de trois :
1, 2, 3

Un jour à St Gervais, il y a un homme qui est arrivé. En voiture.
Il s’est garé place de l’hôpital, devant la poste. En descendant de sa voiture, il a vu qu’il avait crevé. Enfin son pneu. C’est un signe a-t-il pensé.
Il y avait un platane, il a fait le tour du platane, parce qu’il s’intéresse aux arbres, et il a vu :
sur l’écorce son prénom à lui était déjà écrit…
C’était, peut-être un signe ? Il a changé sa roue, fait réparer le pneu. Il y a des histoires qui commencent comme ça… Depuis il n’arrête plus de partir de ce village et de revenir…

Le cantonnier de St Gervais avait un tracteur vert pour travailler.
Le tracteur n’avait pas de cabine alors le cantonnier y avait installé
un parasol jaune pour se protéger du soleil et… de la pluie.

St Gervais, c’est un village extraordinaire mais c’est aussi un village où il y a des élections.
Il y en a un qui était candidat à la mairie qui est venu lui dire « Si je suis élu, tu auras une cabine ».« Moi, a répondu le cantonnier, je préfère le vent ! »

Place des fourmis, il y a tant de vent parfois qu’il n’y a que les fourmis et les tracteurs de cantonniers qui ne sont pas obligées d’avancer à reculons…
Les galets sont partout, même si on ne les fait plus chauffer au four pour s’en servir de bouillottes dans le lit ou à l’église pour écouter la messe au chaud !
Place des Fourmis il y a des voitures et pas grand monde sauf…si on attend un peu… et là on finit par les voir… les enfants… Ils passent, ils se faufilent, le passage du Trébuchet est juste à leur taille, ils courent, jouent, ils savent mieux que nous ce qui se cache derrière chaque pierre, ils savent que de la Place des Fourmis partent tous les chemins…
Autour de la place des fourmis, je me suis baladée, les figuiers s’appuient sur des frênes, les habitants ne sont pas farouches et chaque fois que je me suis assise, ils m’ont glissé dans l’oreille des histoires…
Et je sais que quand je partirai de ce village,
je vais à nouveau devoir me glisser entre les 2 serpents de bruit et de vitesse,
Je vais retraverser à la nage les lits de galet des 3 rivières à sec,
Je vais saluer craintivement les 4 cheminées de Gargantua,
Je vais devoir affronter les inondations et les congères de neige
des 5 déserts de maïs et de vent,
Je vais refaire mon chemin au coupe-coupe
dans 6 forêts pleines de ronces et d’ermites,
Je vais escalader 7 hymalayas de paperasses et de rêves
Et alors, je serai rentrée,
mais je sais que mes histoires ne seront plus jamais
les
mêmes.

Fin...

Sauf
qu'à la sortie des premières représentations, "elles" m'attendaient pour me la raconter, celle-la aussi, une histoire dont elles étaient les héroïnes !
La voici en "bonus" :

C’était veille de chasse au lièvres. A la clinique, où elle était allée pour les derniers examens, on lui avait dit que le petit allait naître mais pas tout de suite, pas le lendemain en tout cas. Alors presque tranquille, le futur père est allé dormir chez sa mère à St Gervais pour être à pied d’œuvre pour la chasse au lièvre. Sa femme est restée à Montélimar avec les 3 grands. Mais, dans la nuit, elle a senti que ça venait. Elle a téléphoné chez sa belle mère : le futur père était déjà parti à la chasse ! Tout était prévu : la belle mère a réveillé son mari, ils sont partis en 4L jusque dans la plaine des Andrans et là, dans les brouillards du petit jour, en pantoufles, la belle mère a sonné du cor de chasse… Le futur père est arrivé à temps à Montélimar pour voir naître son fils et, comme l’enfant et la mère se portaient bien et que c’était jour de chasse au lièvre, l’après midi il y est retourné… à la chasse…



Bibliographie

AU FIL DU ROUBION… Le Bi-Mensuel de St Gervais sur Roubion , chez Nicole Pedley, Place de l'Horloge, 26160 St Gervais sur Roubion.

LA BATAILLE DE MONTELIMAR: Les 10 jours qui ont fait trembler la Drôme, vidéo, 36 mn, édition M.B.M, Archives municipales BP 279 26216 Montélimar cedex.

BROLLES Roland, DONDAY Pascale, LA PETITE HISTOIRE DE LA VALDAINE, la Mirandole éditeur, 1992. Epuisé ?

SENTIS Gabrielle, LA LEGENDE DOREE DU DAUPHINEE. Editions de Belledonne 1995, parle de la « Ratafagnaudo » page 153 et de Gargantua dans la Drôme page 127.

REVUE DU MONDE ALPIN ET RHODANIEN1-4/1992, ETRES FANTASTIQUES DANS LES ALPES, recueil d’études et de documents en mémoire de Charles Joisten. Un chapitre sur Gargantua dans la Drôme lors d’une collecte de 1954 à 1967 avec carte, témoignages, bibliographie, noms des informateurs, photos...

JOISTEN Charles, ETRES FANTASTIQUES, Patrimoine oral de la Drôme. Editions Musée Dauphinois 2007. Toute la collecte avec des index par commune mais aussi par thème ou motif.

JOISTEN Charles et Alice, CONTES POPULAIRES DE SAVOIE, pour l’histoire de la princesse… Edition A Die Musée Dauphinois, 1999

GIRARD René, MEIS OBRAS. le Cocorin de La Pinha et Daufinat‑Provença Terra d’Oc, 2001, bilingue avec disque

FRECHET Claudine, DICTIONNAIRE DU PARLER DE LA DROME, éditions régionales, 1997, épuisé.

DE TILBURY Gervais, LE LIVRE DES MERVEILLES, Editions Les Belles Lettres 1992. Non épuisé ! Gervais de Tilbury était un conseiller de l’Empereur Othon au XIIième siècle qui a vécu dans le royaume d’Arles. Ce sont parmi les plus anciens documents qui parlent de l’élevage de la soie, du château de l’Epervier même s’il n’y a rien sur St Gervais.

LE CHANT DU LIEU, DOSSIER BILAN réalisé par le collectif artistes, habitants, ex-salariés d’ARDOM, associés, 2002